Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
DE CARTES ET D'ESTAMPES  - carnets de voyage
19 octobre 2006

Crimes et Dehli

Bulcol 1
Jaipur

Tout le monde sait, qu'il soit allé en Inde ou non, que la première arrivée ici est un choc... Ce dont personne ne m'avait prévenu, c'est qu'à la seconde fois, le choc est tout aussi grand, voire plus puisqu'on se croit blasé, un de ces habitués des feux d'artifice, qui regarde avec condescendance les jeunots pousser des aaah, et des ooohs à chaque bouquet qui pourrait être le dernier.


Pendant la bonne heure de queue pour les passeports à l'aéroport de Delhi, à six heures du matin, coincé entre un groupe de jeunes Anglais qui partaient plein d'allant escalader l'Himalaya, une Danoise trop grande, un Italien bouddhicisant, deux Japonais hagards et un vieil hippy moyennement happy, je repensais avec nostalgie à mes premiers pas sur le sol de Madras, et ce mélange de mystère et de familier qui dès l'abord m'avait assailli.


Nostalgie qui explosa en vol, ainsi que toutes mes certitudes, tous mes souvenirs, à peine un pied mis dehors. La couleur du ciel tout d'abord, cette lumière d'aube si particulière, qu'on croit ne pas oublier mais qui n'a rien à voir en vrai comparé au souvenir, et puis l'agitation de la foule dehors, les chauffeurs de taxi qui vous sollicitent, le bus brinquebalant bondé d'Indiens surchargés, les faubourgs qui défilent, et déjà les vaches désolée d'être si sacrées, les autels fumants, l'entrelacs impensable de voitures qui partent dans tous les sens, les hurlements de klaxons, les mendiants, les vendeurs de tout et de n'importe quoi, un chien, trois chèvres, un palais, des milliards d'enseignes, et de fils électriques : plus la moindre occasion de se sentir blasé, comme si Delhi vexé de ce que j'avais pu écrire de Madras ou penser de Bombay, s'était mis en quatre (enfin en quatre mille) pour avoir l'air "encore plus" que ses concurrentes.


Par miracle, au coeur de ce maelström, j'aperçois une mosquée rouge et blanche qui a bien l'air d’être Jama Masjid, au pied de laquelle est l'hôtel que j'avais arbitrairement choisi, un peu influencé tout de même par le commentaire laconique du guide : "un quartier vivant, où très peu de touristes s'aventurent". Je trouve l'hôtel assez facilement, prends une douche, et ressors.. dans une marée humaine indescriptible. C'est qu'il était déjà 10h00 du matin, et que tous les magasins avaient ouvert. Le quartier n'était qu'un gigantesque bazar, où des milliers de gens erraient en faisant semblant d'acheter pour les uns, de vendre pour les autres. Les Halles un samedi veille de Noël paraitraient encore bien vides compares à "ça". Il faut dire aussi que les flots de vélos, de rickshaws, de motos, plus les vaches dépitées, les carrioles, les travaux, n'aidaient pas a la sérénité du lieu. Bon, au bout d'une heure d'errance dans cet enfer marchand, je finis par comprendre pourquoi j'étais le seul touriste a avoir élu domicile là : les trois grosses rues que j'avais suivies pendant tout ce temps s'étalaient sur 4 ou 5 kilomètres, et après tant de temps je n'étais toujours pas arrivé a la fameuse Connaught Place qui marque le début du centre ville (en plus je m'étais perdu, ce qui n'avait rien arrangé, mais qui vu l'effroyable complexité du tissu urbain, n'avait rien d'exceptionnel).


Me voilà enfin sur Connaught Place, totalement épuisé, totalement déshydraté, et très peu charmé par cette foule dense et pressée qui m'avait bousculé pendant près de deux heures. CP tient plus du quartier circulaire que de la place à proprement parler, ne serait-ce que du fait de sa taille : à mon avis une fois et demi plus grande que la place de l'Étoile. Un seul type d'architecture... de grands immeubles coloniaux blancs à colonnes, qui hébergent tous les magasins de luxe de la ville, contraste assez étonnant avec l'incommensurable série d'étals et d'échoppes dont les rues étaient remplies tout le long de mon trajet. Vaincu, je rentrai a mon hôtel, ou j'arrivai quelques minutes avant le crépuscule... Or ici comme ailleurs, nous sommes en plein Ramadan et en toute logique, vu la proximité de la Jama Masjid, le quartier près de mon hôtel était 100% musulman. Mosquée dans laquelle me prit brusquement l'envie d'entrer avant la tombée de la nuit, histoire de trouver enfin un peu de sérénité dans cette journée qui n'avait été que bruit et fureur. J'avoue que sans l'année et demi passée au Caire, le spectacle qui s'offrit a moi en pénétrant dans l'immense cour (d'après mon guide qui aime beaucoup les superlatifs, la Jama Masjid, érigée au XVIIe, est la plus grande de toute l'Inde) ce spectacle donc m'aurait immédiatement fait regretter mon idée impromptue et fait tourner les talons que je venais de déchausser : des centaines (des milliers plutôt) de fidèles, tout de clair vêtus, assis par terre devant d'innombrables assiettes, attendant plus ou moins patiemment l'autorisation du ciel de manger. L'air de rien donc, après tout je me devais de ne pas trahir toutes les heures passées dans les mosquées égyptiennes, me voilà en train de traverser la foule, comme un intrus tombé par hasard dans un mariage mais qui veut faire semblant qu'il connait la mariée. Je m'assois à un bout de la cour, en essayant de me fondre dans la foule, et soudain, deux coups de canon, une nuée de pigeons, et tous les doigts qui plongent dans les assiettes. Ça aurait été dommage de ne pas assister à ça. Cela dit, quand le muezzin a commencé la prière, et que la foule a enchainé en se mettant front contre terre, j'ai tout de même estimé que moi aussi j'avais faim et qu'il était temps de filer à l'anglaise.


Le lendemain, ayant découvert qu'un métro pouvait m'amener jusqu'a CP (ah le métro de Delhi, seul havre de paix et de calme de la ville) me voilà parti à la découverte du fameux centre, New Delhi, horizon impossible, quadrillage étrange sur ma carte.. et effroyable cauchemar du piéton que je voulais rester ! Des kilomètres et des kilomètres de gigantesques avenues boisées, bordées de murs cachant probablement de riches demeures, des avenues larges comme les Champs Élysées, monotones et interminables, aussi dépeuplées que le reste de la ville est grouillante de gens. Là encore, une bonne heure de marche m'avait péniblement fait descendre d'un demi centimètre sur ma carte, et j'étais à peine à India Gate, à des dizaines de centimètres de la fin du Centre Ville. De toute façon, étrange centre ville que cette succession d'arbres et de murs, Los Angeles boisé ou aucun trajet ne peut raisonnablement s'effectuer à pied ! J'essayai de me consoler en entrant dans le Musée National qui avait échoué au bord de Shah Path (la grande avenue de la ville qui relie India Gate au palais présidentiel, longue d'au moins 4 kilomètres et large comme trois Champs-Élysées) mais devant l'ampleur du désastre, je battis une nouvelle fois en retraite vers mon hôtel.


Bon, c'est vrai, j'ai encore tenu deux jours comme ça, entre les bains de foules et les errances désespérées (j'avais l'impression de me retrouver dans la peau d'une vache sacrée qui marche sans fin, et sans espoir d'obstacle) mais ce n'était là que volonté de faire mentir tous ceux que j'avais entendu dire que Delhi, à part arriver et partir, ne servirait jamais à rien ni à personne. Et le cinquième jour, il fallu bien reconnaître que personne ne mentait, et me voilà embarqué, et soulagé, vers le Rajasthan, en compagnie d'un étrange voisin natif de Bengalore, qui voulait à tout prix me faire dire que Paris était une ville peu sûre, que Nuremberg, hein tout de même, c'était autre chose (il y avait vécu deux mois) puis me faire admettre que le Führer, tout bien considéré avait fait du bien à son pays, et qu'au moins grâce à lui on avait parlé de l'Allemagne. Dépité par le peu de chaleur dont je fis montre pour chanter avec lui les grandeurs du troisième Reich, il rajouta que si j'allais a Bengalore (diable, qui va à Bengalore ?) il fallait que je fasse attention au chikungunia, puis nous stoppâmes là tout autre forme de discussion.


Ce que j'allais trouver dans la Ville Rose, comment j'allais contrer la nouvelle confrontation aux distances absurdes, et mon saut à pieds joints dans la modernité cinématographique bollywoodienne, sera l'objet d'un prochain bulcol. Pour l'heure je dois libérer le poste de travail de mes inquiétants logeurs (deux frères sympathiques mais au demeurant patibulaires) et aller diner.

 

Que Shiva veille sur vos jours et vos nuits.
Namaste.

 

Publicité
Publicité
Commentaires

Little-Nemo

Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes !
Aux yeux du souvenir que le monde est petit !

Publicité
Archives
Albums Photos
Publicité