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DE CARTES ET D'ESTAMPES  - carnets de voyage
2 novembre 2006

Le temps se ghat

Bulcol 3
Jeisalmer

 

Voilà le grand talent de l'Inde : non contente de toujours tenir ses promesses, il faut en plus qu'elle les dépasse largement. Toujours plus, c'est le mot d'ordre. Et Pushkar évidemment n'a pas dérogé a la règle... ah ça non !

Une fois descendu de bus, la première grande surprise, c'est l'absence totale de rickshaw. Plus de klaxon, plus de harcèlement permanent, plus de situation inextricable du style une moto qui cale devant, une vache en pleine dépression sur la gauche, deux auto-rickshaws face a face, aussi persuadés l'un que l'autre d'avoir la priorité, plus le vélo qui tente de contourner un cochon au risque de renverser un étal ambulant de cacahuètes. Enfin un peu de calme, de sérénité, après la folie de Jaipur. Il faut dire que Pushkar est une minuscule ville, avec une simple grande rue principale. Au nord, quelques ruelles en terre battue, ou finissent de mourir de magnifiques maison multicolores, et au sud le lac sacré,né raconte la légende d'un pétale de lotus lâché par Bhrama, entièrement bordés d'escaliers, et de dizaines de petits temples blancs comme neige.

Si les rues de Jaipur étaient une incroyable arche de noe, ou se côtoyaient porcs, ânes, paons, singes, chèvres, dromadaires, bovins ravinés, chevaux et chiens errants, a Pushkar la rue est pleine d'une faune moins variée mais très étrange.
Un peuple de semi-zombies, occidentaux en rupture de ban (80% d’Israéliens) qui errent dans la grande rue l'air hébété, habillés avec la panoplie complète du parfait petit Hindou : pagne ou sari, écharpe, bracelets, bagues, colliers, cheveux dreadlockés, pieds nus, et l'amour de l'humanité pour seule religion.
D'autres spécimens, primo arrivants sans doute, en sont a un stade de transformation moins avancé mais l'attirance qu'ils ressentent envers les boutiques de bijoux et de tissus dont regorge la rue principale laisse très très mal augurer la suite de leur voyage. Le plus drôle, c'est a quel point tout étranger a Pushkar, quelle que soit la raison de sa venue ici, du simple touriste aux plus allumés des pseudos sadhus, met un point d'honneur a traiter avec le plus souverain mépris tout autre étranger croisé dans la rue ou aux terrasses des restaurants. Et comme de toute façon, ils sont persuadés qu'on ne peut pas non plus faire confiance aux Indiens d'ici qui ne cherchent qu' a plumer le gogo, ça donne des cohortes de petits blancs qui montent et descendent la rue, sans but et sans bruit, mains dans les poches et yeux dans le vague.

Tout cela n'a d'ailleurs aucune espèce d'importance, grâce aux Ghats et a l'incroyable lac. Une fois assis sur les marches (sur lesquelles très peu de touristes s'aventurent seuls), je pouvais regarder pendant des heures le spectacle incessant des fidèles venant se laver, jeter des fleurs, bruler un bâton d'encens, les brahmanes qui priaient, les vieillards qui se chauffaient au soleil, un ou deux touristes qui se faisaient extorquer des sommes faramineuse pour eux aussi sentir le frisson de l'offrande à Brahma, ou encore une vache dévalant a toute vitesse les escaliers en espérant réitérer les exploits du landau d'Eisenstein a Odessa, en vain évidemment.

Le premier soir, au fur et a mesure que le soleil déclinait, je sentais bien que l'excitation allait s'intensifiant : tout le monde attendait la tombée de la nuit qui annoncerait le début officiel de Diwali. Des pétards explosaient ici et la, des tambours résonnaient déjà, des enfants couraient se préparer, et lorsque les derniers rayons du soleil eurent disparus, les habitants de Pushkar ont tous convergé lentement vers le lac, chacun chargé d'un plateau plein de petites lampes (de toutes petites coupelles remplies d'huile où flotte une mèche allumée) qu'il plaçait respectueusement sur la dernière marche des ghats.
C’était lent, progressif, joyeux mais plein de retenue, et au bout d'une heure, toutes les rives brillaient de centaines de petites lueurs dansantes, reflétées par les eaux noires du lac. Le temps de regagner la grande rue, elle aussi parée de petites lampes au bord de chaque fenêtre, de chaque pas de porte, que retentissaient les premiers feux d'artifice, et que les pétards reprenaient de plus belle leur concert assourdissant. Ces explosions, qui donnaient tout de même a la bourgade des airs de ville yougoslave assiégée, continuèrent tout le long de mon diner, que je passais a une terrasse surplombant le lac aux mille flammèches. La soirée passait, et les pétards (enfin des giga mammouths, pas des pétards de 14 juillet) bien loin de diminuer ne faisaient que s'amplifier. Ma chambre donnant elle aussi sur le lac, j’étais aux premières loges... la situation empirant, on avait maintenant la désagréable impression d’être en Irak le jour du début des hostilités. Il n'y avait aucune seconde de répit, ce n’était que fracas, tonnerres et déchirements dans la nuit, et il était a peine 21h00.

A 2h00 du matin, la stupeur s'etait transformée en angoisse, puis en désespoir absolu. Vers 3h30 le sommeil a fini par gagner, et je ne saurais dire si les explosions cessèrent, mais je sais qu'à 7h00 c'est elles qui me réveillèrent. Ah, il fallait voir l'air hagard des touristes au petit déjeuner, pour un peu ils auraient croisé le regard des autres commensaux pour pouvoir épancher le ras le bol général qui les prenaient a la gorge. Dehors, comme en temps de guerre, la vie continuaient tant bien que mal : les zombies avancaient a demi courbés, l'air de dire «..c'est la méchanceté du monde qui a entrainé la colère des dieux..», les protos zombies se dépêchaient de faire leurs achats avant qu'il ne soit trop tard pour l'heure du Jugement dernier, et les simples touristes se terraient en attendant des jours meilleurs. A l'heure du déjeuner, on pouvait sentir le résignation partout : vaincu par toutes ces explosions, chacun en tirait son parti, alors que résonnaient dans les cerveaux vidés l’étrange et obsédant chapelet de ces tonnerres impalpables. Je crois que ce cauchemar s'est lentement éteint dans l’après midi, mais il avait tant duré, et avec tant d'intensité, que le bruit continuait a résonner dans nos têtes fatiguées et il nous fallut attendre la nuit pour enfin réaliser que les bombes avaient fini de tomber. Un jour nouveau pouvait se lever sur les marches de Pushkar, les chants résonner, et les vaches meugler de désespoir a l’idée que même la guerre des hommes ne savait avoir raison d'elles !

Comment des ghats de Pushkar je passai aux villes mortes du Shekawati, et des touristes dédaigneux a la joyeuse compagnie de la Ramesh Jangid Tourist Pension, vous le saurez la prochaine fois, car dehors le soleil est en train de se coucher, et je veux voir s'embraser la citadelle dorée de Jeisalmer.

Que Durga vous accompagne sur les bons et les mauvais chemins Namaste

 

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Commentaires

Little-Nemo

Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes !
Aux yeux du souvenir que le monde est petit !

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