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DE CARTES ET D'ESTAMPES  - carnets de voyage
9 novembre 2006

Entre la poire et le désert

Bulcol 4
Udaipur

Ah, les gaths de Pushkar avaient beau déployer les odeurs d'encens les plus exquises, les couleurs les plus recherchées, les soieries les plus froufroutantes, les spectacles les plus étonnants pour me retenir sur leurs marches, un événement arrivait à grand pas auquel je ne voulais surtout pas assister : la grande Foire aux chameaux, qui comme chaque année allait faire grimper la population de la bourgade de 17 000 à 200 000 personnes ! Beaucoup de chameaux, beaucoup de nomades, et surtout beaucoup beaucoup de touristes...
il fallait fuir.

Quelques 7 heures de bus vite passées me conduisirent dans une région reculée au nord de Jaipur, le Shekawati, encore totalement délaissée par les tours opérateurs du Rajasthan. Comme partout ailleurs, une grande plaine désertique s'étend à perte de vue, vaguement recouverte d'arbustes poudrés comme de vieilles maharanis délaissées au fond de leurs harems, et d'herbes seches que les chevres suçottent comme de pauvres os décharnés,paysage comme englué dans un temps immobile, et ponctué de petites villes cachant dans les replis de leurs ruelles paresseusement lascives de magnifiques demeures – les havelis – construites au XVIIIe par les riches marchands de la région et recouvertes du sol au plafond de fresques naives et nostalgiques.

Sur les conseils de mon Guide, j'avais choisi pour base Nawalgarh, ou le bus me lacha en debut d'apres midi. Un soleil implacable, une longue route poussiéreuse, et aucun repere pour trouver la Ramesh Pension dont mon Guide chantait les louanges. Me voilà parti droit devant a la recherche d'un panneau ou d'une indication. Comme dans un film de Rossellini, au tournant de la route quelques notes de musique résonnent, et apparaît au loin dans l'air troublé par la chaleur, un cortege sans age : un grand char, quelques villageois, une fanfare fatiguée tentant un dernier effort pour paraître pimpante – à coup sûr un petit défilé religieux en l'honneur de Ganesh pour feter la fin de Diwali, je commençais a etre habitué à ces explosions de joie intempestives et bruyantes. Mais alors que nos chemins se croiserent, au lieu de la statue du dieu elephant, Rosselini céda la place a Fellini et je découvris stupéfait un cadavre couché dans le char, beau vieillard aux cheveux blancs soigneusement peignés, revetu de son plus beau costumes pour son dernier trajet a Nawalgarh.

Un peu déstabilisé par cette entrée en matière, je faillis manquer le panneau salvateur qui m'indiquait la direction de ma Pension. Il n'y avait plus qu'à suivre les flèches qui me guidaient dans l'impressionnant dédale de rues en terre battue à moitié désertes et silencieuses. Soudain une nouvelle clameur, des cris, des pleurs, une course précipitée et sans crier gare,de Fellini nous passames en plein Pasolini : un homme debouche en courant d'une rue avec dans les bras un enfant ensanglanté qui gémit a peine. Derriere lui courent des enfants effrayés, et des femmes en pleurs... en une minute, ce tableau glaçant disparaît au coin d'une rue, et le silence retombe sur les rues mortes de Nawalgarh.
Rendu un peu fébrile par ces rencontres successives qui pouvaient sonner comme autant de présages funestes, j'entrai dans la Pension certain de tomber au coeur d'un nouveau drame digne d'un film a grand spectacle de Bollywood, une histoire de vengeance, d'amour et de sang. Mais au lieu de tout ca, un tableau paisible et chaleureux s'offrit a moi : une cour ombragée, un bel arbre centenaire, deux voyageurs discutant doucement, des enfants sages attablés a leurs devoirs et pour m'accueillir la femme de Rajesh (Agnes Jaoui, tres convaincante dans le rôle de la maitresse de maison indienne, et parfaite cuisiniere, particulierement habile a préparer les delicieux currys vegétariens dont l'Inde a le secret. En outre elle parlait un hindi parfait, mais a mon avis elle était doublée, car c'est une langue effroyable a prononcer, et je sais de quoi je parle).


Le temps de poser mes affaires dans ma chambre spacieuse et fraiche, et de me debarrasser de la poussiere qui me recouvrait, et j'allais à mon tour goûter de l'ombre du grand arbre, assis sur de moelleux coussins. Les deux voyageurs etaient remontés dans leur chambre, Agnes Jaoui vaquait a sa cuisine, et moi je savourais le calme ambiant, quand déboula le pétulant Rajesh, flanqué de trois touristes a la mine exténuée mais ravie :deux Francais et un allemand débonnaire, encore tout émoustillés par leurs recentes aventures. Je n'eus pas a attendre longtemps avant que Monique – qui me parlait comme si on se connaissait depuis toujours, viennent tout me raconter : Rajesh nous a amené a des cenatophes, des cetanophes, des tombes quoi, et en chemin on a vu des blue bulls, Rajesh appelle ca des antilopes mais moi je trouve que ca ressemble plus a des gnous, t'as vu dans le petit livre, pour l'eau ? on peut re-remplir nos bouteilles a la fontaine, la, c'est de l'eau filtrée, ca evite de gaspiller du plastique, tu vas voir on mange tres bien ici – Rajesh are you want que j'aide (se tournant vers son mari : Mamour, comment on dit aider ? ah oui, help) que j'help your wife ? Revenant a moi : tu as rencontré Simon et Phédra ? ce sont des etudiants en archeologie, ils travaillent avec des potiers – Mamour, tu as les photos des blue bulls ? montre lui – tu vas voir vraiment on dirait des gnous – tu te souviens quant on a fait le Kenya, on en a vu des gnous – tu as quelle chambre toi ? Parce que je ne sais pas si c'est a cause de la fin du Ramadan ou quoi, mais hier on a pas fermé l'oeil de la nuit, il y a eu de la musique dans la rue de la Mosquée jusqu'a 6 heures du mat, oh de la musique tres bien d'ailleurs, on avait presque envie d'aller danser avec eux, tant qu'a pas dormir, mais Rajesh est tres hindou, je ne sais pas si ca lui aurait plu – Rajesh, may be its you voisins qui a creuvé les pneus de la voiture – trop dur, je ne sais pas comment dire…mmm ca sent bon, je vais voir comment elle fait la soupe… Ni une ni deux, elle fila discuter le bout de gras avec Agnes Jaoui, et je pus reprendre mon souffle.


Le contraste entre les deux semaines de silence integral que j'avais observé jusque la, et l'ambiance chaleureuse et bavarde qui regnait dans la pension de Rajesh était total, et finalement assez amusant. Il faut dire que l'impression de faire partie integrante de la famille de Rajesh, et de vivre a leur rythme, etait bien agréable et changeait de l'athmosphere glaciale ou impersonnelle qui regne souvent dans les hotels. Du coup, les grandes tablées qui réunissaient tous les hotes de la maison avaient l'air de grandes reunions festives ou tout le monde se racontait sa journée, son voyage, ses mésaventures ou ses souvenirs. Outre les innénarables Monique et Gerard (le frere jumeau de Francis Lax, celui qui double Magnum, avec en prime exactement la meme voix, ce qui donnait l'etrange impression quand on fermait les yeux, que le detective aux moustaches aventageuses avait laissé Higgins a Hawai pour venir passer sa retraite en Inde) son mamour de mari, conducteur de bus parisien de son etat, qui n'arretait pas de me demander : t'as fait le Mali ? c'est comment… nous on avait envie mais a la place on a fait l'Egypte, l'année prochaine on hesite entre faire le Laos et faire le Perou, mais il paraît qu'en amerique latine, ils piquent beaucoup, faut toujours faire gaffe – outre ce couple etonnant donc, se sont succedés pendant les 5 jours ou je suis resté Simon et Phédra, qui effectivement passaient leurs journées avec des potiers pour etudier leur technique et dont le projet etait d'acheter des dizaines de pots pour les casser et voir si la taille et la forme des morceaux etaient explicables par la technique de fabrication ; Cath et son mari Nigel (aussi effacé et docile qu'elle etait energique et directive) , couple irlandais qui avait vecu deux ans en Afrique du Sud et qui faisait le tour de l'Inde pour passer en revue les differentes techniques de tissage (techniques qui avaient l'air de laisser tres froid Nigel, qui preferait se refugier toute la journée dans l'indicateur de chemin de fer pour comparer les differentes possibilities d'aller de Mumbay a Amristar, en passant par Benares, Madras et Calcutta) ; Lionel et Jezabel, deux jeunes futurs Monique et Gerard qui suivait a la lettre, ligne par ligne tout ce que leur Guide leur disait de voir, et detournaient la tete des que le Guide n'en avait pas parlé ; Hillary et Paul, charmant couple de neo zelandais venant en Inde tous les ans depuis 30 ans, et qui connaissaient tous les noms de tous les trains indiens avec leur trajet et la durée du voyage, ce qui faisait s'allumer des etincelles d'envie dans les yeux de Nigel ; Krystell, une bretonne qui à trente ans avait decidé qu'il était temps de voir du pays, et qui pour son premier voyage avait choisi de traverser toute seule l'Asie pendant six mois, de l'Inde jusqu'au Japon… ca faisait a peine deux semaines qu'elle avait commencé son périple, et elle sentait deja un peu flechir son courage bien qu'elle eut preparé son voyage avec soin (elle avait meme un appareil qui au moyen d'ultra sons lancait toute la nuit le message 'je suis un moustique male, je suis un moustique male' afin que les moutiques femelles enceintes – les seules qui piquent paraît-il – s'enfuient a toutes ailes (le mode d'emploi expliquait que les moustiques detestaient etre courtisée quand elles etaient enceintes) ; et enfin Anne et son fils Yoann ( »mon mari ne voulait pas venir, alors j'ai pris mon fils »), qui elevait des chevres dans l'Aveyron depuis 35 ans, et qui ne parlait que pour se plaindre des arnaques indiennes ou de ses betes belantes qui lui manquaient tant (je suis maintenant incollable sur le rendement en lait et les moeurs capricieuses des caprins).
Et puis entre chacun de ces diners, il y avait ces villes endormies du Shekawati ou j'aimais tant me perdre, ces villes dignes de La Belle au bois dormant, assoupies pour toujours, deja a moitié recouvertes de sable et de poussiere, encerclées par l'oubli et la nostalgie de leur splendeur passée.

Comment je finis néamoins par quitter ces lieux enchanteurs pour m'enfoncer plus avant dans le désert du Thar et le pays de Marwar, ce sera le sujet d'un prochain envoi, car deja les derniers rayons du soleil caressent le lac d'Udaipur.

Que Skanda vous suive sur les pentes de votre destin
Namaste

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Commentaires

Little-Nemo

Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes !
Aux yeux du souvenir que le monde est petit !

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