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DE CARTES ET D'ESTAMPES  - carnets de voyage
16 novembre 2006

Forts en thème

Bulcol 5 Orccha Le grand point positif avec les groupes de touristes, c'est qu'ils sont vraiment tres cons, et qui dit tres con dit farouchement décidé a le rester. Par conséquent, le touriste lambda est l'etre le moins curieux qui existe (non, s'il part en voyage, ce n'est pas par curiosité, c'est pour pouvoir prendre des centaines de photos, et les montrer en rentrant a des gens qui ne les regarderont pas ). Aussi, il suffit en arrivant dans une ville de regarder les lieux recommandés par le Guide et de ne pas y aller (ou d'y aller quand les autres dorment ou mangent), et on est sûr de ne pas rencontrer un seul de ces groupes braillards, dont le seul talent réside a dire toujours ce qu'il ne faut pas au moment ou il ne faut pas. Aller dans une ville dont personne n'a entendu parler peut aussi se révéler tres efficace ! Bikaner par exemple, ville qui marque l'entrée dans le désert du Thar, cumule l'avantage d'etre a la fois incroyablement belle et totalement boudée par les cars de touristes. Meme mon Guide la traitait de haut, heureusement que je ne l'écoute pas toujours. La premiere suprise en arrivant, c'est cet enorme citadelle au ras du sol, comme un gigantesque vaisseau spatial echoué sur terre. Une masse ecrasante, et pourtant si raffinée dans chaque détail, chaque feston de pierre, chaque balcon ouvragé et chaque moucharabieh compliqué et impénétrable. L'intérieur – une série infinie de cour, de couloirs, de salles d'agrément, de chambres et de terrasses, est dans sa décoration peinte aussi délicat et coloré que l'extérieur était monumental et monochrome. Et puis, et surtout, il y a la vieille ville derriere ses remparts, séparée de la ville moderne par la voie ferré qu'empruntent régulierement des trains indolents, fantomes démesurés qu'on voit errer entre les immeubles, traits lumineux et sonores qui dechirent inlassablement la nuit de Bikaner. Une vieille ville décatie, aux minuscules ruelles qui ne peuvent rester droites plus que quelques metres, où, comme d'habitude, vivent en bonne harmonie tout et n'importe quoi : des centaines de vaches, des truies aux mamelles pendantes, des enfants, des vieillards, des charettes demantibulées, des jeunes hyper sapés sur leurs motos tonitruantes, des chiens ennervés, des velos tintinabulants,des chevres a l'air imbecile qui broutent avec le sérieux de Descartes en train d'ecrire le Discours de la Methode, des vendeurs ambulants, des business men pendus a leurs téléphones portables, des brahmanes endormis, des ramasseurs de plastique, des ménageres portant sur la tete leur panier plein de victuailles, des vendeurs de bouses, des barbiers en plein air, des cireurs de chaussures, des nettoyeurs d'oreilles, des singes affairés – et la liste est loin d'etre complete – le tout evoluant sans donner l'air de s'en apercevoir au milieu d'incroyables immeubles aux facades en gres rouge brique, travaillées comme de la dentelle, jamais identiques, belles a couper le souffle. Et par dessus le marché, puisque peu de touristes s'aventurent a arpenter la ville, les gens sont restés accueillants, souriants et incroyablement gentils. Apres a peine 15 minutes de promenade, un jeune apprenant que je travaillais dans le cinema voulait a tout pris m'inviter a voir le film qui venait de commencer dans la salle devant laquelle je passaia (mais bon, revoir « Don » ne me tentait guere), un prof m'avait donné l'adresse de son ecole pour que j'aille la visiter le lendemain, et un tailleur un peu neurasthénique m'avait dessiné un plan pour que le rejoigne une heure plus tard dans sa boutique, ou il voulait me montrer les nouvelles qu'il écrivait pendant ses heures de repos. Sans compter les hordes d'enfants qui me souhaitaient la bienvenue depuis le seuil des maisons, me demandant mon nom, et un stylo, comme s'ils avaient reconnu une vedette sans savoir dire qui c'est, mais dont ils voudraient absolument un autographe. Le lendemain de mon arrivée, alors que je revenais du temple de Deshnoke (seul temple du pays – voire de la planete ? - dédié aux rats, où des centaines de rongeurs vivent en liberté et gambadent, insouciants et bien nourris, entre les pieds des visiteurs qui restent stoiques), j'entends dans la rue qu'on m'appelle par mon prenom. Impressionné d'etre déjà si connu apres seulement deux jours de présence je me retourne, et Monique me fait la bise, avant que Gerard ne me saisisse la main pour la broyer définitivement. Ah, comment ca va, j'etais sur qu'on se reverrait, t'es la depuis quand ? t'as fait la citadelle, nous on y va la, impossible de trouver un restau normal ici, oh la la Pushkar, tous ces chameaux, comment ca s'appelait, mamour, le palais ou on a dormi ? bon au bout d'un moment trop de chameaux ca lasse, mais je suis contente d'avoir vu ca... tu dors où ?... attention, un train... nous on a une pension super, en plus ils nous font a manger, c'est tres bon, sinon c'est tellement epicé, moi je supporte pas... tu va a Jeisalmer apres ? tu pars quand ? Demain, par le bus de 8H00 ? ben nous aussi, hein Gerard, oh ben c'est super, on va faire la route ensemble... ah tu vas manger ? ben bon courage, et puis a demain alors... Je lui fis un grand sourire, mais au fond j'etais un peu effrayé a l'idée d'affronter 8 heures de bus avec Monique et Gerard -aussi peu avare en plaisanteries de toutes sortes que sa femme l'etait en informations essentielles et passionnantes. Ma seule consolation etait de me dire qu'au moins on avait fait hotel a part. Si eux avaient une pension super, elle ne pouvait pas egaler la mienne, petite oasis au milieu des rues poussiereuses de la ville moderne, charmante demeure des annees 20 ayant appartenue au premier ministre du Rajasthan, transformée en hotel par son fils (maintenant un vieux monsieur tres gentil et tres digne), et dans lequel j'etais totalement seul, pouvant profiter des terrasses et des jardins comme si j'etais un invité officiel. Le premier matin d'ailleurs, alors que je demandais a la maitresse de maison si je pouvais prendre un petit déjeuner, elle me conduisit silencieusement a travers des pieces richement meublées qui n'avaient pas vu le soleil depuis plus de 30 ans, jusqu'a la salle a manger familiale ou elle m'assit d'autorité a une grande table en bois ciré. L'ambiance déjà un peu lourde, se tendit encore d'un cran lorsque s'eleva de la piece voisine – une chambre a ce que je pouvais en apercevoir – une voix eraillée et plaintive, qui psalmodiait inlassablement un chapelet de mots entrecoupés de rales et de toussotements. J'avais beau prendre un air détaché, la maitresse de maison semblait tres ennervée par ce fond sonore, et n'arretait pas de passer derriere moi pour essayer de raisonner l'auteur de ces borborygmes incontrolables et déplacés. Etait-ce la veuve du ministre, centenaire édentée qui n'en finissait plus de ressaser les années de splendeur passées, un enfant anormal qui vivait la reclus, une soeur spoliée ? Je ne saurai jamais,a peine mon café terminé je suis parti sans me retourner. Puis vint le moment de prendre mon bus. J'arrivais un peu en avance pour etre bien placé (pres d'une fenetre, loin de Monique et Magnum) mais evidemment, le couple fatal m'avait déjà devancé et m'accueillit bruyament a l'interieur du bus : Vient devant, c'est super, on voit tout, ca va, bien dormi, t'as entendu ton reveil, regarde on a acheté des boulettes pour le voyage, je ne sais pas a quoi c'est, mais Gerard dit que c'est tres bon, tiens regarde t'as une place la, de l'autre coté de l'allée... J'esquive gauchement l'invitation en pretextant que je prefere le 3e rang, juste apres la porte, mais a peine assis je me rappelle que je suis a la place rituelle du controleur et que je serai chassé de la des le depart du bus. Le temps de mettre en place une stratégie, et voilà, horreur, qu'embarquent Anne et Yohann, l'eleveuse de chevres depressive et son fils deprimant. La coupe était pleine. Crispé, je fais néanmoins les présentations (Monique et Mamour etants partis de chez Ramesh avant l'arrivée d'Anne et Yohann). Joie de Monique a l'idée de se faire de nouveaux amis, indifference totale d'Anne trop occupée a vitupérer le manque de civisme des indiens incapables de respecter les places reservées, vraiment tu vois Yann ca sert a rien de venir acheter les billets en avance. Du coup, je regarde mon billet, et vois que justement ma place officielle est au premier rang, pres de la fenetre, je cours donc m'y mettre, avant d'etre obligé de me coltiner Yohann et sa mere. D'accord j'etais tres pres de Monique et Magnum, mais au moins deux braves indiens faisaient ecran. Quelle naiveté ! Non seulement cela n'empecha en rien Gerard de m'abreuver de ses commentaires (qu'il etait obligé de hurler pour etre sur d'etre entendu) mais en plus au premier arret, mes deux boucliers partirent et Monique appela a grand renfort de gestes Anne et Yohann pour qu'ils viennent avec nous au premier rang – vous allez voir c'est génial, on voit tout, on se croirait au cinema ! Monique l'ignorait encore mais le concept « c'est genial » n'avait jamais été tres prisé par la sinistre Anne, qui ne faisait que souffler tant elle trouvait le temps long et le paysage monotone. Elle n'etait sure que d'une chose, c'est que personne de l'hotel ne serait a l'arrivée du bus pour l'accueillir, malgré toutes leurs prommesses. Le seul moment ou elle s'egaya, c'est en se rendant compte que les chevres qui erraient dans les gares routieres se faisait une joie de manger les peaux de bananes qu'elle leur jetait depuis la fenetre. Redevenue une petite fille, elle faisait le tour de tous nos sacs poubelles pour y denicher des epluchures et les jeter d'un air triomphateur a ses amies belantes, hurlant a chaque fois qu'une malheureuse vache faisait mine de vouloir participer au festin pour la faire fuir. Mais ces effusion de bonheur furent vite eclipsée par une brusque dépression : de voir toutes ces chevres lui avait fait penser a ses biquettes,qui devaient depérir si loin de leur maitresse. Et la voilà partie dans un long monologue qui melait nostalgie et ses sempiternels commentaires sur la vie, les moeurs et les qualités insoupconnées de nos amies a barbichette. Est ce que le chauffeur comprenait le francais, et ne supportait plus le sommeil qui lui tombait dessus a l'ecoute de ces interminables details zoologiques, en tout cas voilà que soudain il abandonne les 40 km/h reglementaires pour adopter une vitesse de croisiere inconsidérée. Les arbres défilaient a une allure qu'on ne leur avait jamais vue, les sacs volaient, et notre bus foncait sur l'etroite route sans aucun menagement pour les voitures qu'il doublait ou qu'il croisait. Gerard (qui aurait tant aimé faire la meme chose avec son bus parisien) et moi exultions, Monique chantonnait pour ne pas penser a l'accident, Yohann comme d'habitude ne montrait aucun sorte de réaction, quant a Anne,elle sombra tres vite dans une inextinguible crise d'angoisse, avec force exclamation d'horreur, mains tendues, aggripage d'epaule, a chaque fois que notre conducteur fou forcait a train d'enfer le passage a travers vehicules et animaux de tous poils. Sur le point de tomber en catalepsie au moment ou notre bus se faufila entre deux autres bus qui venaient en sens contraire (magnifique manoeuvre executée a 6 mm pres, et qui nous laissa sans voix Gerard et moi), elle finit par gagner le fond du bus, où quelques indiennes apitoyées lui montrerent des tissus, des bracelets et leurs bébés pour lui changer les idées. Jeisalmer fut a la hauteur de sa reputation, citadelle imprennable aux couleurs sable et or, perchée dans le ciel bleu, dont ni les hommes ni le temps n'avait pu venir a bout. Puis suivirent la gigantesque forteresse de Jodhpur, régnant de haut sur son immense ville toute bleue, Udaipur la blanche et son Palais d'apparat qui se mire avec coquetterie dans les eaux de son lac calme et violet, et enfin Bundi, petite perle oubliée, fichée dans un vallon tout verdoyant, où traine encore la nuit le fantome de Kipling qui l'aima si tendrement. Citadelles, palais, lacs – toujours le meme vocabulaire, mais agencé toujours de maniere nouvelle, et toujours entourés de rues ou l'on pourrait rester toute une vie a regarder les gens marcher, s'arreter, acheter, vendre, discuter, chanter, manger, de jour comme de nuit. Comment je quitai le Rajasthan pour rallier, a travers temples et palais Benares la mystique, vous le saurez la prochaine fois, car deja le Soleil rosissant caresse les eaux de la Betwa, et tous les palais d'Orccha s'appretent a revetir pour moi leurs tenues d'apparat. Que Rudra adoucisse votre coeur et durcisse votre bras Namaste
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Commentaires

Little-Nemo

Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes !
Aux yeux du souvenir que le monde est petit !

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